jeudi 28 juillet 2011

NEW ORLEANS part 2 / and three more days

Jeudi 28 Juillet / DAY 20

Je retrouve Justin à 10h du matin, il a les yeux d'un type qui a dormi 3 heures, il me file les clés de son appart, on dépose nos affaires et on retourne explorer le Vieux Carré.

On se fait un full English breakfast en guise de brunch au Fleur de Lys, on déambule, on finit rapidement sur Jackson Square, on s'installe à l'ombre sur d'immenses bancs en demi-lune, un type endormi pète si fort qu'il en fait vibrer tout le banc, son voisin nous adresse un sourire goguenard et complice. Je laisse Cécile et Xavier à leurs cahiers et cartes postales, direction the music factory pour un peu de record digging en quête de quelques trésors locaux. Cécile et Xavier me rejoignent vite pour cause de pluie diluvienne. Je ne trouverai en soul néo-orléanaise qu'un Lee Dorsey et un Dixie Cups.

On continue notre errance, on se retrouve devant le couvent des Ursulines, où l'on aimerait voir un diorama de 1915. Ledit couvent est fermé pour cause de vernissage privé, mais puisque nous sommes français, les deux femmes postées au portail nous invitent à entrer. On trouve là quelques stagiaires françaises, du vin, du faux fromage, des 
crakers, du pain tout mou, d'opulentes poitrines et cette fameuse exposition sur le père Antoine, figure notable de la Nouvelle Orléans du XVIII - de diorama, point.


░┼░

On reste là finalement plusieurs heures. Moi, ça m'embête un peu - d'où peut-être l'auto-portrait dans les sanitaires. L'expo est très succinte et pas terrible (malgré le potentiel comique de Père Antoine). Je ne sympathise pas tellement avec les stagiaires, que je trouve un peu limitées et méprisantes quand il s'agit de parler de la ville et de ses habitants. Il faudrait discuter d'Histoire, d'institutions, d'archives, comme Xavier, mais ce n'est pas mon truc. Sans compter que les mamelons, forcément, ça m'affole moins. (Je fais exprès les enfants).

On profite un peu de l'appart de Justin avant qu'il ne rentre, enfin un salon propre ! On se tâte pour une soupe (essayez, ça marche !), puis Justin débarque avec un peu de soul food qu'il nous offre pour s'excuser des déconvenues de la veille. C'est sacrément bon. On discute, on écoute de la musique, il joue un peu de batterie, je consulte un chouette ouvrage très documenté sur les Stones.


Vendredi 29 Juillet / DAY 21


Vers neuf heures du matin, nous nous éveillons, un peu avant Justin qui est en retard pour partir travailler. Le petit-déjeuner et la toilette sont rythmés par la musique proposée par Radio New Orleans, diffusée partout dans l'appartement par des hauts-parleurs cachés dans le plafond de chacune des ses pièces. Du jazz, naturellement. 

▄▀▒
A midi, nous partons faire un tour au cimetière St Louis, où se trouve la tombe de Marie Laveau, illustre prêtresse vaudou, qui accueille les modestes offrandes d'anonymes (colliers typiques issus de la tradition du carnaval, maquillage, bouts de tissu, … badges, cartes, tickets, coton tiges... ).

▄▀▒

▄▀▒
░┼░
░┼░

Nous filons ensuite au presbytère sur Jackson Square, ancienne place d'armes de la ville française je crois, pour visiter une exposition sur l'ouragan Katrina, ses causes, ses manifestations, ses conséquences. Le visiteur y est accueilli par le piano déglingué de Fats Domino, dans l'état où il a été trouvé suite au passage des ouragans. Je prends quelques notes au cours de la visite. J'en recopie quelques-unes ici. 

"The success of river control inadvertently helped destroy coastal wetlands, which allowed storm-induced surges of gult water to intrude farther inland." (Le système performant de contrôle des eaux fluviales a ironiquement concourru à la destruction des marais de la côte, ce qui a permis aux afflux d'eaux provoqués par l'ouragan d'avancer plus loin dans les terres.)

Le Superdome (immense stade) a une capacité d'accueil usuelle de 10 000 à 12 000 personnes ; le 1er septembre, il est ammené à protéger 35 000 personnes. 
Une grande partie du toit est emportée par les vents de Katrina, ouvrant la voie aux bourrasques et à l'eau, et entraînant chez les réfugiés la peur que l'édifice ne s'écroule. La coupure d'électricité laisse les gens dans l'ombre et l'humidité. Les sanitaires étant sur-occupés, les gens sont forcés de se soulager où ils peuvent. Cela devient, selon le maire, "real ugly, real fast".

Chaos : "Plus d'une douzaine de policiers New-orléanais, retraités ou toujours en exercice, ont été accusés d'avoir tiré sur des civils ou d'avoir étouffé des incidents."

"The road home program" : financé par l'Etat fédéral, il s'agissait d'un programme visant à compenser les dégâts immobiliers non-assurés des Louisianais suite aux ouragans Katrina et Rita. Pour en profiter, il fallait au choix opter pour une aide à la reconstruction ou bien vendre son bien immobilier au programme et déménager. 8,61 millions de dollars ont été distribués ; le programme comptait 127 792 bénéficiaires en septembre 2010. Mais les règles du programme changeaient souvent, les biens immobiliers étaient souvent sous-estimés, et surtout le système pâtissait d'une grande lenteur administrative. En 2010, une court fédérale a établi que le "Road home program" était discriminant, aux dépends des propriétaires afro-américains. Les bourses étaient basés sur les valeurs immobilières précédant l'ouragan au lieu des frais de réparation. 

Nous avons trouvé cette expo plutôt bien conçue, pédagogique mais aussi largement mélodramatique. L'omniprésence un peu relou du mot "résilience" et le film de clôture nous ont un peu gênés. Nous sommes quand même restés là-bas une bonne partie de l'après-midi. J'étais un peu passée à côté de ces informations-là. Je pense m'être justifiée alors avec l'idée que les Etats-Unis étaient un pays bien pourvu pour affronter ce genre de catastrophe et c'était totalement idiot de ma part. Les disparités, évidemment, y sont effrayantes au contraire (et le fait que les habitants du sud de la Louisiane se soient sentis abandonnés par les pouvoirs publics américains est un exemple, s'il en faut, qui me donne tort). 

Nous déjeunons créole ensuite, chez Coop's dont l'enseigne figure un alligator gourmand : des bols de sortes de ragoûts. Pinces de crabes, huîtres cuites -bouillies en fait-, riz et eau parfumée. Gumbo (pas mal), Jambalaya (alright). Et puis après quelques tentatives ratées (disquaire et thrift store clos), nous nous nous dirigeons vers le grand City Park, aux pelouses gorgées d'eau et aux chênes majestueux, décorés de végétation parasite en forme de guirlandes dégoulinantes. De la fougère aussi bien envahit leurs branches.


░┼░

░┼░

C'est ici que nous nous sommes installés pour écrire nos cahiers, après nous être utilement enduits de répulsif à moustiques - voilà le genre de chose dont on oublie de parler dans un cahier de voyage et qui pourtant conditionne pas mal un séjour : les piqûres de moustique. Xavier, lui, bouquine son guide, il va devenir imbattable sur l'histoire de la Louisiane, assurément.

Quand la nuit commence à tomber nous quittons le parc dans l'idée de retrouver Justin pour aller manger à Napoleon House. L'endroit est plus ou moins l'état, les murs en sont décrépis, cela participe au charme supposé de cet historic landmark.
C'est une vieille demeure à la peinture décrépie soit disant destinée à l'Empereur corse comme refuge au retour de St Hélène. Y est-il jamais venu ? On dîne dans le patio de style colonial. L'endroit est à la fois cosy (couleur, lumière et mobilier), guindé (serveur en chemisette et noeud pap) et tropical (plantes, coursives, chaleur moite, et ventilateurs au plafond). Alors que nous venons de passer commande, Justin, à l'aise, s'adresse au serveur tiré à quatre épingles en lui donnant du "you know what, sir, I think I'll need a couple of minutes to make my mind." On boit pas mal de bière locale, la nourriture n'est pas folle contrairement à ce à quoi l'on pourrait s'attendre vu l'allure du lieu, mais c'est bon, et nourrissant, et nous n'en demandons pas tellement plus (actually, Xavier did. Il commande une entrée de boudin et un copieux poboy - de "poor boy"). Justin est loquace, il nous raconte tout du pourquoi les Etats-Unis sont un pays aussi divers que l'Europe, pourquoi il n'est pas monogame, tout de sa virée hallucinée en voiture qui a fini dans une beer-barn (une grange drive through à bière où l'on rentre en voiture et se fait servir des caisses de bière au volant, bravo l'Amérique). Il a trente ans et parfois son enthousiasme adolescent le fait oublier. 

Une fois rentrée, je m'endors sur le gros pouf du salon, Thomas fume avec Justin je crois, j'imagine que Xavier parcourt le livre qu'ils ont tous les deux avidement lu, sur les Rolling Stones, par Bill Wyman. 


Samedi 30 Juillet / DAY 22


Rien que de faire le trajet de l'appartement de Justin à la voiture avec nos sacs sur le dos, nous sommes trempés de sueur. Je pense à ce moment-là aux futures randonnées dans les déserts de l'Utah. Un cheval pantelant attelé à une calèche attend en plein cagnard quelque touriste ; derrière lui, posé sur le siège du cochet, un gros paquet de carottes épluchées est déjà éventré, que l'animal, pour sa chance, ne peut pas voir.


Les garçons passent deux bonnes heures de notre début de journée à rechercher des 45 tours dans la mine de Jim Russell sur Magazine Street. C'est sacrément poussiéreux, il fait chaud, pas de clim pour une fois, je n'ai jamais autant transpiré en cherchant des disques mais qu'importe, j'y serais bien resté plusieurs jours. Des bacs à n'en plus finir et des murs entiers de 45 tours. J'y trouve un sacré paquet de disques à $3, du classique au plus obscur. Lavern Baker, Castaways, Music Machine, Orlons, Merry Go Round (encore), Association...

Pendant ce temps, je parcours la très belle et calme Canal Street que divise sur la longueur un large terre-plein de pelouse ponctué de bancs, de fontaines et d'arbres centenaires dont les lourdes branches survolent le sol comme si elles avaient poussé en subissant des convulsions. 


░┼░

░┼░
░┼░
░┼░

Je trouve au thrift store que j'avais repéré sur internet quelques pin's, une robe noire, une jupe bleue et un tee-shirt à rayures. Tous les vêtements sont cédés pour $2 la pièce. 

▄▀▒ 
▄▀▒

Nous mangeons dans un resto mexicain des burritos ou quesadillas copieux, c'est un moment très agréable si l'on fait abstraction de la sur-climatisation du lieu. De toute façon, on retourne vite dans la chaleur du jour en parcourant Magazine Street. On fait de courtes étapes dans quelques fripperies, dans une échoppe d'instruments de musique où d'improbables tambourins dominicains prétendument rares sont empilés par vingtaines. Thomas achète un milk-shake à la fraise très sucré, bref, on s'arrête tous les dix mètres en parfaits touristes. Pour découvrir les grandes demeures plantées dans de riches jardins de Garden District, on choisit d'emprunter le streetcar vert de la ville. L'engin est d'époque, très beau. Comme toujours devant ces géniales machines, je pense à grand-père, que je devrais lire La Bête humaine, immanquablement j'amalgame les illustrations sur l'apogée de l'âge industriel, Tennessee Williams, les quais enfumés, le fourmillement bruyant des gares lors des premiers congés payés, la planche de la bande-dessinée sur Gandhi où il se fait jarter d'un wagon blanc et le manteau de polytechnicien de Pierre Bailly. 

▄▀▒ 
▄▀▒

Après cela, c'est l'heure de rejoindre la maison d'Alyssa, sur qui j'ai aussi projeté pas mal de clichés ; je reste surprise en traversant son quartier. 
On est à la fois heureux et un peu désemparés de découvrir cette partie de la ville, où la peinture craquelle encore plus qu'ailleurs, où une maison sur cinq est abandonnée. Elles sont toutes construites sur le même modèle, sur pilotis, tout en long - depuis l'entrée jusqu'au jardin, une enfilade de pièces - et portent le stigmate en croix de la visite des secours après Katrina. Alyssa m'explique que certains habitants se sont empressés de repeindre leur façade tandis que d'autres ont choisi de ne pas cacher la marque de leur épreuve. En fille un peu désabusée, elle trouve cela neat, comme de pouvoir apercevoir depuis le haut du château d'eau où elle monte parfois fumer, un énorme "HELP" bombé sur le toit de l'école en face de chez elle, abandonnée depuis. 

░┼░

░┼░

On boit des bières, on joue avec ses amies à apple to apple en suçant des bâtons de glaçon parfumé. Un peu avant, les trois filles et leur copain collectionneur de capsules travaillaient ensemble à un dessin collectif truffé de spirales et de champignons.


En somme, elles ont l'air de vivre à la cool dans leur maison meublée à moindre frais (Alyssa a même trouvé pour sa coloc un chouette piano abandonné que celle-ci a appris à accorder) et peuplée de poils de chien. Le vieux labrador et son petit ont des gestes vraiment attendrissants. Ils se baladent librement d'un bout à l'autre de la maison-couloir. Alyssa dit qu'ils dégagent beaucoup de chaleur et qu'avant d'emménager dans le quartier, elle voyageait avec eux dans son van vert psychédélique et souffrait de la température intenable.

PS : Alyssa ne sort jamais sans sa spork. C'est pourquoi je lui en ai dessiné une, tintant sur sa hanche, pendue à un mousqueton. Si vous ignorez ce qu'est une spork, ce mignon dessin vous l'expliquera. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire